Demeter & la Poison Path - Le Pavot
- pinkamnesiaof
- 21 avr. 2020
- 4 min de lecture

Je pense que tout le monde connaît l'opium. On en parle toujours avec une fascination morbide orientaliste, et un jugement moral qui nie bien vite le passé consommateur de l'Occident. En tout cas, c'est un sujet que je vois assez peu abordé dans la Poison Path et ce que je peux en lire. Peu citent le pavot (papaver somniferum). Et quoi de plus facile que lier Déméter à cette plante.. Préparez-vous, nous pénétrons dans la fumerie d'Opium personnelle de la Déesse.
Déméter et le Pavot
Le pavot est associé à la Déesse Déméter depuis longtemps. Probablement ramené des cultes de Crète, c'est un de ses attributs "officiels", si je peux m'exprimer ainsi. Théocrite parle ainsi, à propos des Thalysies (des fêtes rurales antiques) : « Qu’il me soit permis de plonger de nouveau mon van dans un tas de grain et de la voir [Déméter] me sourire en tenant des gerbes de blé et du pavot. » Dans Idylle VII, on peut lire, toujours de Théocrite : "pour les grecs, Demeter était encore une déesse du pavot, portant dans ses mains des gerbes de blé et du pavot".
Chez Porphyre, on retrouve également, à propos de Pythagore, la recette utilisée pour couper la faim lorsque celui-ci devait passer du temps dans un sanctuaire : "il faisait un mélange de graine de pavot, de sésame, d’écorce de scille lavée avec soin jusqu’à ce qu'elle eut perdu son suc, de tiges d’asphodèle, de feuilles de mauve, de farine, d'orge , de pois chiches, tous ingrédients qu'il coupait en proportions égales et arrosait de miel de l'Hymette. Ces recettes, disait-il, Heracles les avait apprises de Demeter quand il se dirigeait vers le désert de Libye."
Selon Polémon, quant à lui, le pavot, associé à de la grenade et des gâteaux de froment, faisait une offrande choix pour Déméter. Je pourrais continuer longtemps, citer beaucoup d'autres auteurs antiques, mais il me semble que le lien entre la Déesse et la plante est plus que clair.
Le pavot et le Kykéon ?
Si je ne peux pas vraiment prouver que le pavot était incorporé à la Boisson Sacrée utilisée dans les Grands Mystères, une phrase, néanmoins, me semble à noter. Pour la comprendre, il faut se souvenir que le Kykeon arrivait dans les mythes pour briser le jeûne que les dévots suivaient, et qui reprenait le jeûne et l'errance désespérée de Déméter pour retrouver sa fille Perséphone. Selon Ovide, dans les Fastes, Déméter cueille un plant de pavot, et le mange tel quel avant d'entrer chez la mère de Triptolème. Le poète ici montre la fameuse rupture du jeûne. Pour coller au mythe, on peut s'imaginer les dévots boire une décoction de pavot, peut-être?
Le pavot, la Poison Path et l'opium
Depuis Sumer, le pavot est connu pour ses propriétés psychotropes et sédatives. On l'appelait d'ailleurs Hul Gil, qui voudrait dire "plante de la joie". En Egypte, on retrouve sa mention sur le Papyrus Ebers, un traité médical datant du XVIème siècle avant J.C, pour soulager les douleurs et les peurs, ainsi que pour ses vertus psychotropes. Des traces datant du néolithique suggère déjà la culture de pavot somnifère.

Dans la Grèce antique, on nommait son "jus" opion et on le consommait pour ses vertus médicinales, comme pour sa capacité à faire entrer en contact avec les Dieux. Selon certaines théories, le Népenthes si mystérieux qu'Homère cite comme une boisson permettant d'oublier toute douleur et tout chagrin serait une décoction de pavot.
Car c'est en faisant une incision sur les capsules de pavot que s'écoule le latex, qui devient, après transformation, le fameux opium. Euphorisant, aphrodisiaque, sédatif, il plonge dans un état onirique dont les poètes comme Baudelaire ont abusé.
« L’opium agrandit ce qui n’a pas de bornes, allonge l’illimité, approfondit le temps, creuse la volupté et de plaisirs noirs et mornes remplit l’âme au-delà de sa capacité. » Baudelaire ; "le Poison"
Sulfureux opium
Colle à l'opium une réputation de scandale. Sa consommation, la dépendance qu'il a pu créer, les ravages de santé publique.. Mais aussi son côté éminemment colonialiste, avec les fumeries asiatiques, et la guerre dont il est à l'origine. Ce n'est pas une de ces plantes douces, à l'esprit léger. L'opium est un esprit sulfureux, impétueux, violent parfois, qui endort le corps, et l'esprit, le laissant divaguer dans les pires pensées.
Il est également connu depuis très longtemps pour son lien avec le sexe. Vu à la fois comme un aphrodisiaque, et un anesthésiant de la libido, il fascine. Il évoque les langueurs et les corps avachis dans les bordels et les fumeries. Colette, dans Le Pur et l'Impur, évoque les soupirs, les froissements des jupes, les halètements dans les alcôves des établissements. Albert de Pouvourville en parle ainsi : "le potentiel de conscience sensorielle est décuplé. L’opium incite à la langueur, à savourer un état de tension érotique durant des heures, en dehors de tout acte sexuel, les seules limites sont celles d’une imagination, qui par définition, sont abolies par l’action de la drogue".
L'opium qui tue, l'opium qui pousse les corps. L'eros et le thanatos, dans le suc d'une plante.
L'Opium du Pauvre
N'en déplaise à Marx, je ne veux pas parler ici de la religion, mais d'une plante ignorée, que je trouve pourtant fantastique : la laitue vireuse. Produisant également du latex, on le récolte pour ses propriétés sédatives et euphorisantes, bien que plus légères évidemment que celles du pavot. Elle n'est pas psychotrope au sens du "trip", mais plonge elle aussi dans un univers et une sensation onirique et profonde. Elle est moins jolie qu'une belle tige de Belladone, son nom fait moins rêver, et son odeur n'est pas forcément un ravissement des sens, mais dans la Poison Path, souvent, on la met de côté. Rendons un peu ses lauriers à cette petite plante qui pousse partout !
Sources:
- Théocrite
- Porphyre de Tyr
- Dictionnaire des drogues et des dépendances ; Denis Richard, Jean-Louis Senon & Marc Valleur
- Ecrits stupéfiants: Drogues & littérature d'Homère à Will Self ; Cécile Guilbert
- Le pavot fertile dans les mondes mycénien, grec et romain : réalité et symbolique ; Germaine Guillaume-Coirier
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